samedi 26 septembre 2015

#DarkWildNight Chapitre 2

© 2015 Christina Hobbs and Lauren Billings


CHAPITRE 2

Oliver

– QUAND AS-TU APPRIS la nouvelle, Oliver ?
Je regarde de l’autre côté de la table et souris :
– Apprendre quoi, Harlow ?
– Ne joue pas les imbéciles. (Elle jette un coup d’œil au bar pour s’assurer que Lola s’y trouve toujours.) Quand as-tu appris que Razor Fish allait être adapté au cinéma ?
Elle nous dévisage l’un après l’autre, Joe et moi. Joe se penche pour prendre une énorme bouchée de son burger, me laissant le soin de répondre.
– Aujourd’hui.
C’est bien essayé, mais dans la mesure où Lola n’est au courant que depuis ce matin, Harlow veut connaître l’heure exacte.
Elle plisse les yeux mais retient une réplique cinglante – Lola revient avec un plateau de shots. Cette dernière me jette un petit regard et sourit avec malice. Je ne sais pas si elle s’en rend compte. Les coins de sa bouche se relèvent légèrement, elle baisse les yeux puis bat lentement des paupières, comme si elle me prenait en photo. Et si c’était le cas, on verrait un homme profondément, désespérément amoureux, sur le cliché.
Dans The Amazing Spiderman, quand on parle de Mary Jane Watson pour la première fois, ni le lecteur ni Peter Parker ne distinguent son visage. Tout ce que Peter sait, c’est que « cette jeune fille tellement charmante » plaît à sa tante.
Peter n’est pas intéressé. Si sa tante la trouve jolie, ce ne sera pas son cas. Il en est persuadé.
Sur la vignette où son visage est enfin révélé, Peter réalise à quel point elle est belle. Il se prend une grande claque : jusque-là, Peter s’est comporté comme un idiot.
C’est une bonne analogie pour décrire ma relation avec Lorelei Castle. J’ai été marié à Lola pendant exactement treize heures et demie. Si j’avais été un peu plus malin, j’en aurais profité au lieu d’estimer, parce qu’elle portait une robe courte et buvait des cocktails à Vegas, que ce n’était pas une fille pour moi.
Ce soir-là, nous étions tous ivres… et nous nous sommes tous mariés sur un coup de tête. Pendant que nos amis profanaient nos chambres d’hôtel – et s’épuisaient mutuellement –, Lola et moi nous sommes promenés en parlant de tout et de rien.
Il est facile de se confier à un parfait étranger, encore davantage quand on a bu. Au milieu de la nuit, je me suis senti soudain très proche d’elle. Les lumières du Strip s’atténuaient, dévoilant les dessous moins glorieux de la ville. Lola s’est arrêtée pour me dévisager. La lumière faisait briller le petit diamant qui orne le dessus de sa lèvre supérieure. Sa bouche rose dénuée de toute trace de rouge à lèvres m’obsédait, mais j’étais revenu sur Terre, déjà concentré sur les annulations du lendemain. Elle m’a demandé calmement si je voulais prendre une chambre quelque part. Tous les deux.
Mais… ce n’était pas ce que je voulais. Au moment où elle m’a fait cette suggestion, je savais déjà que Lola était le genre de fille en mesure de me bouleverser.
À son retour à San Diego, tout s’est accéléré. D’abord, sa bande dessinée, Razor Fish, a été publiée et s’est très rapidement hissée dans les dix meilleures ventes de comics. Puis l’album est devenu grand public, il a fait son apparition dans les librairies non spécialisées. Le New York Times a parlé de « futur blockbuster », avant même que les droits de sa bande dessinée soient achetés par un prestigieux studio de cinéma. Aujourd’hui, elle a rencontré les producteurs prêts à investir des millions dans le projet.
Je suis à peu près sûr qu’elle ne dispose pas de la moindre seconde à accorder à ses histoires de cœur et je le comprends. J’y pense assez pour deux.
Lola glisse un verre rempli d’un alcool verdâtre devant moi et lance :
– Je ne sais pas qui a inventé la tradition obligeant la fille qui fête son anniversaire à découper le gâteau… Ou cette nouvelle version selon laquelle la fille dont le film va sortir paie les shots. Je ne suis pas d’accord.
– Non, objecte Mia. Ce serait plutôt : la fille qui s’apprête à déménager à Hollywood qui achète les shots.
– Histoire de faire pénitence. À l’avance, ajoute Harlow.
Nous lui jetons tous un regard sceptique. Toute l’existence d’Harlow est liée à Hollywood. Issue d’une mère actrice et d’un père réalisateur ayant raflé plusieurs Oscars, mariée à un type qui s’apprête à devenir la star de la Chaîne Aventure, nous devons penser la même chose. Si l’ancrage à Hollywood est déterminant pour savoir qui paiera l’addition, Harlow n’y coupera pas.
Comme si elle lisait dans nos pensées, elle s’écrie :
– Ne dites rien ! Je paie la prochaine tournée.
Nous levons tous nos verres, Harlow porte un toast :
– À la personne la plus impressionnante du monde : Lorelei Louise Castle. Écrase-les tous !
Je m’écrie :
– Hourra, hourra !
Lola croise mon regard, me souriant une fois de plus comme si nous étions seuls au monde.
Nos verres s’entrechoquent – Harlow, Mia, Joe, Lola et moi avalons nos shots. Nous frissonnons d’horreur.
La colocataire de Lola, London, halète :
– Chartreuse verte. (Elle tousse en ramenant ses cheveux blonds dans un chignon flou au sommet de son crâne. Il remue quand elle secoue la tête.) Ça devrait être interdit.
J’acquiesce :
– Seigneur, c’est horrible.
– J’ai demandé à Fred de créer un cocktail appelé « Célébration », explique Lola avec une grimace, en s’essuyant la bouche du dos de la main. Désolée. J’ai envie de prendre une douche maintenant.
Mia tousse.
– Fred doit associer célébration et douleur.
Elle attrape ma bière et en boit une gorgée avant de se tourner vers Lola. J’ai rarement l’occasion de voir Mia sans qu’Ansel soit accroché à elle comme un noyé, j’apprécie de pouvoir lui parler. C’est une fille très douce et délicate, le genre de petite sœur rêvée que l’on aurait envie de prendre sous son aile.
Elle continue :
– Alors, Madame Hollywood, raconte-nous ce matin !
Lola soupire, boit une gorgée d’eau et hausse les épaules.
– Honnêtement, je n’arrive pas à y croire.
Je me laisse aller sur la banquette et l’écoute avec tendresse répéter les détails que je connais déjà. Même si je les avais entendus cent fois, j’aurais encore du mal à y croire. Je ne peux pas imaginer ce qu’elle ressent.
Lola, qui, de son propre aveu, passe plus de temps à parler aux personnages qui peuplent son imagination qu’aux individus qui l’entourent, a tout d’une fille brillante. Chaque fois que nous discutons de ses bandes dessinées, je tente de me maîtriser. Je suis influencé par l’affection que je lui porte et je ne peux pas passer ma vie à gloser sur son génie créatif. Pour couronner le tout, c’est la fille la plus intelligente et la plus sexy que je connaisse. Je ne rate jamais une occasion d’expliquer à mes clients à quel point sa bande dessinée est rafraîchissante, totalement avant-gardiste. Faire son éloge se révèle jubilatoire.
Avec Razor Fish, j’ai retrouvé le frisson que j’ai ressenti en ouvrant ma première bande dessinée, enfant.
Lola n’est toujours pas descendue de son petit nuage, étourdie par les bureaux hallucinants, plaisantant à propos du début tendu de la réunion avant l’arrivée providentielle d’Austin. J’ai besoin de prendre un peu de recul. J’avale une gorgée de bière en réfléchissant aux conséquences de ces événements pour elle. La vie de Lola est sur le point de changer. Ce qui était resté jusque-là une passion pour elle devient un travail à part entière – qui suscitera des tensions et des problèmes que je connais plus qu’elle ne s’en doute. Lola est pleine de talents, mais elle n’est pas encore entrée dans l’arène : à Hollywood, les rêves se réalisent ou se brisent pour toujours. J’aimerais parvenir à refouler le réflexe qui me pousse à m’inquiéter pour elle, à imaginer que les choses puissent mal tourner. Cela pourrait l’anéantir ou du moins bloquer sa créativité, si nécessaire à son existence. Et tout ça pour quoi ? Une maison de rêve et quelques voitures ?
J’aimerais la protéger, lui conseiller d’écouter les voix de son esprit, parce que les créatures imaginaires de Lola ont plus de profondeur que la plupart des personnes qui l’ont entourée, surtout pendant son enfance. J’ai vécu une expérience similaire, en grandissant sans frères et sœurs, avec des parents absents. Mes grands-parents m’ont récupéré quand j’étais enfant, mais à huit ans, je m’intéressais davantage à Superman ou à Batman qu’à ce que ma grand-mère regardait à la télévision ou aux gens qui venaient à la boutique de mon grand-père.
Elle arrive à la fin de ses explications – les détails logistiques pleuvent, les faits sont moins précis, le jargon prend le dessus – quand son téléphone s’illumine sur la table. Elle baisse les yeux et sursaute sur la banquette avant de me regarder longuement.
– C’est Austin !
Elle me dévisage. Moi, pas Harlow, London ou Mia. Mon cœur bat plus fort, ma poitrine se réchauffe.
Je désigne le téléphone du menton :
– Réponds !
Les mains tremblantes, elle l’attrape, manquant le faire tomber de la table, avant de répondre à la dernière minute.
– Allô ?
Je n’entends pas la réponse à l’autre bout du fil, je ne peux donc pas deviner ce qui la fait rougir et sourire avant de répliquer :
– Salut Austin. Désolée, non. J’ai failli rater ton appel.
Elle écoute attentivement, nous la scrutons tous en nous concentrant pour deviner le reste de la conversation.
– Je suis toujours un peu sous le choc, mais ça va. (Elle lève les yeux vers nous.) Oui, je suis dans un bar avec des amis… un petit bar de quartier… à San Diego ! (Elle rit.) Ce n’est vraiment pas à côté, Austin !
Quoi ?
Je fixe Harlow qui se tourne vers moi au même instant. Nous n’avons pas besoin de parler pour savoir que nous pensons la même chose. Il ne va quand même pas venir jusqu’ici ? Je jette un coup d’œil à ma montre : il est presque dix heures, c’est au moins à deux heures de route.
– Je suis ravie, moi aussi. (Elle joue avec sa boucle d’oreille.) Pour tout dire, je n’ai jamais écrit le moindre scénario, donc j’écouterai toutes tes suggestions.
Elle glousse.
Glousse.
À nouveau, mon regard croise celui d’Harlow.
Lola glousse avec nous. Elle ne glousse pas avec des gens qu’elle vient de rencontrer. À moins que cette personne ne soit moi, à Vegas – et je préfère penser que cette situation était unique, putain.
– Je suis impatiente de les entendre… Non, pas du tout, tous les avis sont importants… Je sais, désolée. Il y a du bruit ici… D’accord, je n’oublierai pas. (Elle hoche la tête.) Oui ! Promis ! (Elle glousse encore, putain.) D’accord… d’accord… Salut.
Elle raccroche et soupire en me regardant.
– C’était Austin.
Je ricane :
– J’avais cru comprendre.
Même si ça me rend malade, je comprends son enthousiasme. Il lui est agréable de ressentir une complicité pareille avec la personne qui contribuera à donner une ampleur internationale à son album.
– Il ne va pas venir de Los Angeles en voiture, si ? demande London d’une voix suspicieuse (si je ne m’abuse).
J’ai toujours apprécié London.
– Non, non ! répond Lola en souriant. C’était une plaisanterie.
Pendant quelques secondes, nous la fixons sans rien dire.
Harlow brise le silence :
– Alors, pourquoi t’a-t-il appelée, bordel ?
Lola lève des yeux étonnés.
– Euh… Il voulait prendre de mes nouvelles après notre entrevue… Il m’a parlé de ses idées pour le premier volet.
Je répète :
– Le premier volet ?
Émue, elle hoche la tête rapidement. Une mèche de ses longs cheveux effleure ses lèvres. Je ne peux pas me retenir de la replacer. Lola a le même réflexe, ses doigts se posent sur ses lèvres avant les miens.
Je retire ma main, les yeux d’Harlow lancent des éclairs. Je reste concentré sur Lola dont l’expression est indéchiffrable.
– Bordel, Oliver.
À côté de nous, London attrape son téléphone.
– Je vais faire une recherche sur cet Austin Adams.
J’ai toujours vraiment apprécié London. Je murmure, plus doucement :
– Le premier volet ?
– Il m’a dit qu’il envisageait une adaptation en trois volets, s’écrie-t-elle d’une voix aiguë. Et il veut partager ses idées avec moi.
Harlow jure, Mia pousse un cri perçant, Joe lui sourit, mais Lola se cache le visage dans les mains avec un frisson de panique.
– Bordel de merde ! s’écrie London. Ce type est sexy !
Elle tourne son téléphone vers nous.
Finalement, je n’apprécie peut-être pas London autant que je le pensais.
L’ignorant, je saisis les mains de Lola et lui rappelle d’une voix apaisante :
– C’est une excellente nouvelle. (Mais je ne peux pas m’empêcher de continuer.) Il veut en parler maintenant ? Tu vas retourner à Los Angeles demain ?
Elle secoue la tête.
– En discuter au téléphone suffira certainement. J’ai du mal à me figurer comment coécrire un scénario, alors trois… Je vais avoir besoin d’aide.
Elle plaque la main contre sa bouche.
– Pour celui-là, la collaboration est essentielle. N’est-ce pas ce qu’Austin t’a dit aujourd’hui ? (La voir aussi inquiète m’oblige à brider mes propres appréhensions.) Au deuxième ou au troisième film, tu seras sûrement bien plus en confiance. Mais c’est génial !
Elle hoche la tête avec l’air de boire mes paroles, puis ses épaules s’affaissent. Elle laisse échapper un petit rire sans indulgence pour elle-même.
– Je ne sais pas par où commencer.
Sa main moite et tremblante se pose sur la mienne.
– Tu vas commencer par boire un verre supplémentaire, lance Harlow, imperturbable.
Elle s’éloigne pour commander de nouveaux shots. Joe effleure le cou de Lola :
– Lola, tu es une rose sur un tas de fumier. Tu vas réussir.
J’acquiesce et renchéris :
– Bien sûr. Personne ne connaît cette histoire mieux que toi. Tu es là pour les guider. Les autres ne sont rien que des experts en cinéma.
Elle soupire et me regarde comme si sa survie en dépendait.
– D’accord. D’accord, répète-t-elle.
Finalement, nous ingurgitons cinq shots chacun. La conversation dérive des grandes nouvelles de Lola à un débat sans queue ni tête à propos de la fin du monde. Comme toujours, ça vient de Joe. L’adorable Lola rebondit, à grand renfort d’éclats de rire, sur chaque suggestion passionnée – zombies, champ électromagnétique, invasion d’extraterrestres. À la fin de la soirée, j’ai l’impression qu’elle a oublié toutes ses préoccupations.
– Je vous le dis, ça sera le bétail, putain. (Joe manque renverser le verre de vin d’Harlow en esquissant un geste de destruction totale.) Une maladie liée aux vaches ou aux porcs. Peut-être à la volaille.
– La rage, propose Mia d’une voix traînante.
– Non, non, pas la rage. Une maladie inconnue !
– Tu es un véritable rayon de soleil, réplique London en lui donnant une tape sur l’épaule.
– C’est couru d’avance. Ces putains de poulets vont causer notre perte.
Lola fait mine de se tirer une balle dans la tête et s’effondre dans mes bras en simulant des convulsions. Ses cheveux effleurent ma peau nue. Pour la première fois, je ne résiste pas au désir de les toucher, je plonge les doigts dans sa chevelure brune.
Soudain, elle me regarde.
– Oliver a trop bu, marmonne-t-elle.
Je dois être le seul à l’entendre. Sans réfléchir, je me mets à sourire, comme chaque fois qu’elle est près de moi.
– Pourquoi dis-tu ça ?
– Parce que tu me touches, murmure-t-elle.
– Je te touche tout le temps.
Elle secoue la tête lentement contre mon bras avant de se redresser sur la banquette.
– Comme un copain. Là, c’était différent.
Mon sang se met à bouillir dans mes veines.
– Vraiment ?
– Hum, hum, acquiesce-t-elle.
Ses paupières lourdes lui donnent l’air de somnoler.
– Désolé, Lola love.
Je repousse sa frange de la main. Théâtrale, elle secoue la tête.
– Ne le sois pas. Tu es mon héros.
J’éclate de rire, mais elle sursaute et se rassied tout à coup.
– Je suis sérieuse. Que ferais-je sans toi ? (Elle désigne Harlow.) Elle est mariée. (Elle désigne Mia.) Elle aussi est mariée.
Apparemment, London nous a entendus puisqu’elle glisse :
– Je ne suis pas mariée.
– Non, réplique Lola avec un large sourire de fille ivre. Mais tu passes ton temps à surfer. À servir au bar. À repousser les hommes.
Joe hoche la tête, London lui donne une petite tape sur la poitrine.
– Donc, Oliver est mon héros. (Elle se tourne vers moi.) Mon roc. Mon roc inébranlable. (Elle fronce les sourcils.) Mon exutoire ?
– Ta conscience.
– C’est vrai, ça ! (Lola chuchote et approche la bouche de mon oreille. Si près que mon cœur bat à toute vitesse dans ma poitrine.) Ne me quitte jamais.
– Jamais.
Seigneur, j’en suis incapable. Je voudrais la prendre dans mes bras pour la protéger de tous les gens hypocrites et avides qu’elle rencontrera forcément.
– Ne me quitte pas, m’avertit-elle en me pointant du doigt.
Je me penche pour embrasser son doigt inquisiteur. Ses yeux s’ouvrent très grands.
– Jamais.

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J'espère que vous aimez déjà Loliver, sinon je serais déçue. J'ai déjà posté le CHAPITRE 1 de Dark Wild Night hier sur le blog donc allez y jeter un coup d’œil ! N'oubliez pas que je poste des extraits inédits sur Empowr et que j'ai posté le début du CHAPITRE 3 du roman :D LET'S GO : empowr.com/christinalaurenfrance

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